Conférence d'automne

Résumé de la conférence d’automne 2025 de la Société Suisse des Sciences Administratives (SSSA)

De combien de réglementations un État moderne a-t-il besoin – et à partir de quand cela devient-il de la bureaucratie excessive ? La SGVW a décliné cette question en trois actes : de la vue d'ensemble aux examens pratiques, en passant par la synthèse politique. La conclusion : il ne s'agit pas en premier lieu de réduire la bureaucratie en Suisse, mais de l'améliorer – avec du courage, du dialogue, du leadership et une administration qui facilite les choses au lieu de les entraver.

07.11.25


Bureaucratie : malédiction ou bénédiction ? — Un mal nécessaire

Acte 1 – État des lieux : clichés, réalité et bonne question

Le chancelier fédéral Viktor Rossi (président de la SGVW) a ouvert la conférence par un constat réaliste. La critique de la bureaucratie est une tradition – de l’Empire romain à la satire d’Astérix et au tristement célèbre laissez-passer A38 –, mais au-delà de l’humour, la tâche reste sérieuse : dans une Suisse fédérale et diversifiée, organiser les processus de manière à ce qu’ils servent et ne paralysent pas. Selon M. Rossi, la réduction de la bureaucratie est une tâche permanente qui nécessite du leadership, une volonté commune et un sens aigu du service dans l’administration.

Le conseiller fédéral Beat Jans a défini le cadre normatif. La bureaucratie – entendue comme la formalisation écrite, le respect des règles, la fidélité aux faits, les données probantes, la continuité et la fiabilité – n’est pas une fin en soi, mais un rempart contre l’arbitraire. L’administration est au service de la population ; l’efficacité et l’efficience sont un devoir démocratique. Dans le même temps, le rythme politique s’accélère : plus d’initiatives, plus d’attentes, plus de responsabilité – le nombre d’interventions parlementaires, par exemple, a plus que doublé, passant de 813 en 1996 à 1769 en 2024. La politique fixe le cadre, l’administration veille à son application conforme à l’État de droit. Mais l’administration doit également faire des propositions audacieuses et participer ainsi activement à l’élaboration du cadre.

Du point de vue économique, Patrick Dümmler (responsable du département Politique économique à l’Union suisse des arts et métiers) a souligné l’ambivalence de la situation : la bureaucratie est source de stabilité et permet de planifier, mais elle engendre également des coûts, en particulier pour les PME. Selon le Moniteur de la bureaucratie 2022 du SECO, 60 % des entreprises estiment que la charge bureaucratique est élevée ; selon les estimations, les procédures de déclaration et d’autorisation entraînent des coûts d’environ 6 milliards de francs par an. M. Dümmler a plaidé en faveur de la retenue dans l’adoption de nouvelles réglementations, d’une obligation institutionnalisée de révision des règles existantes et contre les doublons dans la numérisation. Les règles doivent avoir des objectifs clairs et les processus doivent être allégés. La bureaucratie n’est pas seulement le fait de l’administration ou de la politique, mais aussi très souvent des grandes entreprises, qui s’assurent des avantages concurrentiels grâce à la réglementation et érigent des barrières à l’entrée sur le marché pour leurs concurrents plus petits. Ce sont alors généralement les petites et moyennes entreprises qui en pâtissent.

La classification scientifique a été fournie par le Prof. Dr Adrian Ritz (professeur de gestion publique, directeur général du Centre de compétence en gestion publique (KPM) de l’Université de Berne) : il a établi une distinction claire entre la bureaucratie (ordre fonctionnel et équitable) et le bureaucratisme (excès de réglementation, mauvaise gestion). Les causes de la surcharge se situent à plusieurs niveaux : dans les tâches et les lois, dans les systèmes d’incitation politique, dans les logiques organisationnelles et les cultures (notamment l’aversion au risque). Son plaidoyer : une déréglementation intelligente plutôt qu’un coup de massue. Les outils sont des normes cibles plutôt que des normes détaillées, des tests pratiques, des contrôles de normes, des contrôles des dépenses – et dans la mise en œuvre, « Jenga plutôt que tronçonneuse ». Dans la comparaison internationale des bureaucraties (rapport entre les dépenses publiques et l’efficacité du gouvernement), la Suisse occupe une place de choix : très efficace pour des coûts relativement faibles.

Acte 2 – Examens pratiques : quand les conflits d’objectifs deviennent concrets

Dans le cadre du dialogue sur le droit de l’urbanisme et de la construction, Karin Bührer (directrice du développement pour la Suisse) et le président du Conseil d’État Dr Martin Neukom (ZH) ont discuté de la tension classique entre rapidité et rigueur / participation. La forte concentration d’intérêts, les cadres juridiques complexes et les nombreuses oppositions ralentissent les projets. La numérisation ne peut apporter de réels gains d’efficacité que si elle est pensée de manière cohérente : « tout-numérique (« digital only ») » au lieu de mondes parallèles analogiques et numériques, législation lisible par machine et normes contraignantes. Tout aussi important : le dialogue précoce entre l’administration, la population et les promoteurs de projets – afin d’utiliser intelligemment les marges de manœuvre, de limiter les abus et d’instaurer la confiance. Selon M. Neukom, outre la judiciarisation croissante, l’un des moteurs de la bureaucratie est l’attitude revendicative des individus, qui tirent des prétentions individuelles d’un catalogue de droits toujours plus étoffé.

Dans le cadre du dialogue sur le droit de la santé, Thomas Christen (directeur adjoint de l’Office fédéral de la santé publique) et Fridolin Marty (responsable de la politique de santé chez economiesuisse) ont débattu du conflit d’objectifs entre sécurité/qualité et efficacité/coûts. Une partie de la charge administrative est inhérente au système, car la sécurité des patients et la transparence ont un prix. Parallèlement, il existe des doublons inutiles – des prestations superflues à la multitude excessive de formulaires – qui peuvent être supprimés de manière ciblée. Les participants ont convenu que la LAMal constituait fondamentalement une bonne base, mais ils étaient en total désaccord sur la question de savoir s’il y avait trop ou trop peu de réglementation. Ce qui est clair pour Marty – trop de temps consacré à l’administration et trop peu aux patients – n’est pas du tout évident pour Christen. On ignore combien de temps les médecins consacrent  à l’administration et si cette charge est  causée principalement par la réglementation étatique.

Acte 3 – Synthèse politique : l’administration entre innovation et réalité

Lors du panel de clôture intitulé « L’administration entre innovation et réalité », la conseillère nationale Simone de Montmollin (PLR), le conseiller d’État Pierre Alain Schnegg (BE) et le président du Conseil d’État Jean-François Steiert (FR) ont discuté de la culture du risque, de la responsabilité et du bon rythme du changement. L’expérience tirée des crises montre que lorsque les objectifs sont partagés, les responsabilités assumées et la tolérance à l’erreur accrue, le rythme et l’efficacité augmentent, sans pour autant sacrifier l’État de droit. Dans le même temps, les oppositions se multiplient ; les frictions entre droits collectifs et individuels sont normales. Le fédéralisme reste à la fois un laboratoire et un obstacle : il permet d’apprendre au-delà des frontières cantonales, mais crée également une fragmentation qui complique les projets numériques tels que le dossier électronique du patient. Conclusion du panel : il faut privilégier les résultats plutôt que les processus et instaurer la confiance pour accélérer le rythme.

Les trois enseignements de la conférence d’automne

Le président du congrès Lukas Bruhin a bouclé la boucle : la bureaucratie est une « politique figée », un mal nécessaire au sens noble du terme, mais mise en œuvre de manière efficace et efficiente en Suisse. Après quatre heures de débat, il a dégagé trois enseignements pour une administration pérenne :

1. Courage et mise à l’épreuve : la bureaucratie ne doit jamais être une fin en soi. Les règles doivent faire l’objet de évaluations régulières de leur pertinence réguliers ; dans les procédures centrales, la règle suivante s’applique : si c’est numérique, alors ce doit être numérique de manière cohérente, sans doubles structures coûteuses.

2. Ouverture et dialogue : la numérisation est un levier, mais pas une panacée. Ce qui est déterminant, ce sont les processus co-créatifs d’élaboration des lois et des ordonnances, qui intègrent dès le début les connaissances pratiques (bon exemple : développement dialogique de la réglementation de l’IA).

3.  L’administration comme facilitateur – Au lieu de se contenter de contrôler, l’administration aide à trouver des solutions : basées sur des règles et axées sur les solutions. Les domaines hautement réglementés, y compris les autorités telles que Swissmedic, montrent que cela est possible. Mais cela nécessite un leadership et la prise de responsabilités par les dirigeants.

Le fil rouge de la conférence d’automne

La conférence d’automne de la SGVW a dépassé la vision manichéenne selon laquelle « bureaucratie = bonne / mauvaise ». Elle a tout d’abord montré pourquoi la bureaucratie est indispensable en tant qu’infrastructure de l’État de droit. Elle a ensuite mis en évidence les cas où elle bascule dans le bureaucratisme, sous l’effet d’incitations politiques, d’une aversion culturelle pour le risque et d’une coordination organisationnelle excessive. Troisièmement, elle a traduit cela en domaines d’action concrets : l’urbanisme et la construction et la santé, deux domaines où les conflits d’objectifs sont particulièrement perceptibles. Et quatrièmement, elle a établi une synthèse politique qui ne mise pas sur une réduction maximale, mais sur de meilleures règles, des processus plus intelligents et des effets mesurables : des délais d’exécution plus courts, une sécurité juridique égale ou supérieure, moins d’obligations de documentation, davantage d’étapes sans rupture de média (de bout en bout numérique) – et une administration publique qui garantit la stabilité et permet l’innovation.

Que reste-t-il ?

La réponse à la question centrale « Frein ou moteur ? » est : les deux, selon la conception. La bureaucratie peut être innovante et devenir une plateforme facilitatrice. La Suisse a besoin d’une administration qui garantisse le droit, renforce la confiance, permette l’innovation et assume ses responsabilités. Pour y parvenir, il faut faire preuve de courage, dialoguer, diriger et adopter une attitude favorable, mais aussi numériser de manière cohérente là où cela apporte un réel avantage. C’est exactement ce qu’a montré la conférence : la bureaucratie n’est pas en soi un obstacle à l’innovation, mais idéalement une plateforme facilitatrice.


Nous tenons à remercier tout particulièrement les intervenants et les participants aux débats, ainsi que tous les participants qui ont enrichi la conférence par leurs contributions et leurs questions.

Partenaire de la conférence

Nous remercions nos partenaires Die Post, Fabasoft Schweiz AG, KPMG, Microsoft, Novo Business, le Smart Government Lab der Universität St. Gallen, T-Systems, ASSH Académie suisse des sciences humaines et sociales, Institut de gestion administrative IVM de la ZHAW SML pour leur soutien!

Partenaires de la SSSA

Impressions

Chancelier de la Confédération Viktor Rossi, président de la SSSA
Conseiller fédéral Beat Jans, chef du Département fédéral de justice et police
Dr. Patrick Dümmlerresponsable des dossiers durabilité et politique économique
Prof. Dr. Adrian Ritz, professeur de gestion d’entreprise, directeur exécutif au Centre de compétence en gestion publique (KPM) de l’Université de Berne
De gauche à droite: Karin Bührer, directrice Développement en Suisse / Thomas Reitze, membre du comité de la SSSA / Président du gouvernement Dr. Martin Neukom, chef de la Direction des travaux publics du canton de Zurich (DTP)
De gauche à droite: Thomas Christen, directeur suppléant de l’Office fédéral de la santé publique / Marc-André Giger, membre du comité de la SSSA jusqu’en 2025 / Dr. Fridolin Marty, responsable politique de la santé chez economiesuisse
De gauche à droite: Conseiller d’État Pierre Alain Schnegg, directeur de la santé, des affaires sociales et de l’intégration du canton de Berne (DSSI) / Président du Conseil d’État Jean-François Steiert, directeur du développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement de l’État de Fribourg et président de la Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement (DTAP) / Lukas Gresch, membre du comité de la SSSA / Conseillère nationale Simone de Montmollin (PLR, GE), présidente de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national (CSEC-N)
Lukas Bruhin, maître de conférence et membre du comité de la SSSA

Présentations